Entre novembre 2011 et janvier 2012, j’ai lu l’essentiel de l’œuvre de Michel Houellebecq. J’étais en pause d’écriture et avais tout mon temps pour l’assimiler et la digérer. J’ai ensuite lu quelques biographies pour connaître la part d’autofiction dans ses livres. La meilleure que j’ai lue est : «Houellebecq non autorisé : enquête sur un phénomène » de Denis Demonpion. Je lui ai emprunté certains éléments de son texte.
Extension du domaine de la lutte [1994] est l’histoire d’un type peu motivé par son boulot en informatique et qui a peu de succès avec les femmes. Ceci l’amène à développer une conception originale de la sexualité. Ce court livre n’est pas dénué d’humour et m’a semblé plus que valable surtout pour un premier roman.
Les particules élémentaires [1998] est un livre qui aborde les échecs amoureux de deux demi-frères. L’histoire tortueuse est habilement menée et comporte nombre de références scientifiques et de conceptions sociales qui s’intègrent avec brio à l’histoire et lui confère une remarquable tridimensionnalité. Il y a aussi quelque chose d’apaisant dans la façon qu’a Houellebecq de parler de sexualité. Après avoir lu Les Particules, j’ai ressenti comme un coup de poing au ventre, un phénomène qui ne m’était jamais arrivé avant.
Plateforme [2001] est sans doute son roman le plus abouti parmi ses œuvres du début. Houellebecq y aborde le tourisme sexuel et pousse le concept à l’extrême. À la fin du roman, Valérie est tuée par une bande d’islamistes enragés qui font irruption dans un endroit dédié au tourisme sexuel. Interrogé à ce sujet, Houellebecq déclare en entrevue : « La religion la plus con, c’est quand même l’islam… », ce qui lui vaudra des menaces de mort voire une fatwa. Quelques semaines plus tard ont lieu les attentas du 11 septembre sur le World Trade Center à New York et Houellebecq fait dorénavant figure de prophète.
Je ne partage pas les points de vue politiques de Houellebecq, notamment quand il s’en prend à l’islam. Mais je crois qu’il est important de pouvoir s’exprimer sur n’importe quel sujet qui le mérite et la religion fait certainement partie des sujets sur lesquels on doit s’interroger et —par ricochet— que l’on doit remettre en question. Bien qu’en désaccord avec lui, je trouve consternant qu’il ait été victime de menaces pour avoir simplement exprimé son opinion. Si on m’avait menacé de mort chaque fois que j’ai critiqué le catholicisme, j’aurais été assassiné depuis longtemps.
Avec Houellebecq, il est difficile de dégager l’œuvre du discours polémique. C’est pour ça que je n’ai pas écrit sur lui immédiatement après l’avoir lu. Houellebecq est à mon avis un grand auteur. Sa façon de donner vie à ses personnages, de coller ensemble plusieurs formes littéraires (ou non) dans un texte et de parler de sexualité sans lever le crayon quand ça commence à être gênant, en gros d’aller au bout de sa pensée dans une société minée par le politically correct, tout ceci contribue à singulariser son écriture. Ceux qui prétendent qu’il n’a pas de style feraient mieux de le relire en essayant de garder leur esprit ouvert.
La possibilité d’une île [2005] est une œuvre ambitieuse abordant le clonage humain au sein d’une secte religieuse. Houellebecq a demandé à son éditeur de s’engager à produire un film à partir du roman et de lui en confier la réalisation. Ancien étudiant en cinéma, on peut comprendre qu’il rêvait de réaliser son film. Mais ce rêve relevait aussi d’un caprice d’enfant gâté ; un enfant que personne n’aurait réussi à raisonner, sauf peut-être son éditeur chez Flammarion. Houellebecq passe donc chez Fayard et empoche un million d’euros au passage. Le résultat ? Un livre acceptable —sans plus— et un film carrément lamentable !
Houellebecq ayant eu ce qu’il voulait, il retourne sagement chez Flammarion, et se met au travaille pour décrocher le prix qui aurait pu lui revenir s’il n’avait pas déconné après la parution de Plateforme (après sa déclaration sur l’islam, son éditeur a laissé tomber ses démarches pour le Goncourt). Publié en 2010, La carte et le territoire lui vaut le fameux prix. Mais Houellebecq a dû ajuster son écriture pour la rendre « goncourisable ». Tout ce qui avait fait la marque de l’auteur en est absent sauf son génie pour inventer des personnages crédibles. La Carte raconte la vie d’un artiste qui s’intéresse successivement à différents thèmes peu exploités en art contemporain et qui, contre toute attente, réussit brillamment. La carte n’est pas un mauvais roman. Ce n’est tout simplement pas son meilleur. Mais le Goncourt devait récompenser l’auteur Français le plus lu hors France, au risque de passer pour une institution désuète qui aurait manqué le bateau.
Les polémiques qui ont suivi la parution de la plupart de ses livres polarisent ses lecteurs entre ceux qui sont avec ou contre lui. Elles font malheureusement oublier qu’on a eu droit à de la foutue bonne littérature, du moins jusqu’à Plateforme. Houellebecq semble avoir ensuite oublié qu’il devait son succès à sa façon d’ébranler ses contemporains et il s’est assagi. Est-ce l’argent qui l’a ramolli ou sa soif du Goncourt ? Quoi qu’il en soit, Houellebecq mérite son succès de par son talent pour la forme mais aussi de par son aptitude à choisir des thèmes qui nous interpellent. Avec Extension, Particules et Plateforme, vous aurez lu l’essentiel. Houellebecq a aussi écrit des essais (que je n’ai pas lus) et des récits plus courts, notamment Lanzarote, qui sont valables. Quand à sa poésie, je ne sais trop quoi en penser. Pour ma part, je préfère celle de Bukowski qui demeure selon moi le maître incontesté du genre pauvre type dans la dèche.
© Alain Cliche, 2010.