High Friends in Low Places – Alan Lord [2022]

J’ai connu Alan Lord en 2006 lors d’une entrevue que j’ai menée pour le documentaire MTL punk. C’était un type courtois et cultivé et j’avais été pour le moins impressionné par sa collection de livres de William Burroughs qui occupait toute une bibliothèque ! On a gardé contact par la suite et, de temps en temps, il m’envoyait des articles, réflexions ou commentaires. Il m’a aussi envoyé des extraits de ce livre que j’ai lus avec plaisir.

High Friends in Low Places est un témoignage sur la scène underground montréalaise des années 1980 : « This book proves in spades that what we had going on here in the Eighties was a world-class underground art scene rivalling any other in History. »1

Alan s’y révèle sans pudeur et, par moment, on a droit à des détails croustillants voire scabreux. À l’ère de l’étouffante culture woke, c’est jouissif de lire un auteur qui ne s’enfarge pas dans les fleurs du tapis. Une autre qualité de son ouvrage est son humour caustique qui nous replonge dans l’atmosphère de l’époque. Et bien qu’il s’agisse d’une auto-biographie, l’écriture est à la fois inventive et vivante et certains passages sont racontés sous forme de scène, pour le plus grand plaisir des lecteurs.

Alan a co-produit et arrangé ce Francoeur.

Sa collaboration avec Lucien Francoeur fait l’objet d’un chapitre entier : «… I owe Francoeur everything. And I owe him nothing […] I owe him everything in the sense that thanks to him I got to open for The Ramones and meet them, I got to record a real album, plus he exposed me to Rimbaud, poetry, and the great names of the Quebec literary world — then also Burroughs — the future Rosetta Stone of my intellectual life. »2 De toute évidence, Francoeur lui a ouvert bien des portes, et vice-versa : « I felt it my mission to bring him up to speed in music. I made him mix tapes and turned him onto the great new sounds of the day: Public Image, Siouxsie, Joy Division, Cramps. »3

Par la suite, il se joint aux Néoistes, une bande de joyeux lurons influencés par le dadaïsme, le surréalisme et le situationnisme. Voici comment Alan les définit : « The Neoists were a loose collective of musicians, writers, artists, film makers, video artists, art provocateurs and innovators, a bunch of incredibly creative individuals grouped around the performance and video artist Monty Cantsin. »4 Cette rencontre aura un impact considérable sur lui : « I was thrilled beyond belief to be with these remarkable fellows, finally people who shared my indefinable disgust and disdain for conventions and conventional people. They possessed this indefinable quality which I call surrintelligence — a kind of higher, unquantifiable intelligence, beyond the banal IQ-Test sort, that surpasses any conventional criteria bent on quantifying it. »5

Fréquenter une telle bande d’individus créatifs semble avoir été une bénédiction pour Alan. J’ai senti la même chose quand je fréquentais les Mentals, une bande de flyés gravitant autour de Bruno Tanguay et son légendaire magasin Vinyl. Bruno fut sans contredit la figure de proue de la contre-culture à Québec. Voici ce qu’Alan écrit au sujet des cassettes Attaboy du groupe de Bruno, Les Biberons bâtis : « We were hooked on those tapes, and it was all we wanted to hear. To this day those two cassettes are the best thing that was ever done in Quebec. It also egged us on to do songs in French…»6

La suite se déroule aux Foufounes électriques qui, à l’époque, attirent une clientèle d’artistes, musiciens, toxicos et autres flippés en tout genre. Alan y présente des festivals de poésie où se produisent une myriade d’écrivains et poètes québécois, mais aussi étrangers, dont William Burroughs et Herbert Huncke qu’il a connus lors de ses nombreux périples à New York. Bien qu’un franc succès, son dernier festival — Ultimatum II — est un flop financier qui le plonge dans la dèche. S’ensuit une période difficile : « Being a glorious failure is both depressing and liberating. People who used to kiss my ass now left me alone. »7

C’est la musique qui le sort de la merde et ça explique que le groupe Vent du Mont Schärr — le pinacle de sa carrière de musicien — tienne une place importante dans le livre. Ce groupe fut marquant sur la scène alternative québécoise de la fin des années 1980. Œuvre de l’artiste David Sapin, la pochette de leur disque ne passa pas inaperçue : « It immediately got us howls of protests and a feminist boycott at Concordia University, complete with shrill megaphone chanting and placards waved in front of the campus. »8 Le label français Boucherie production sortira leur long-jeu en 1989, ce qui les amènera à faire de rocambolesques tournées en Europe.

«… each generation has a different word for the same thing: fearless young angels of whirlwind apocalypse art mayhem, who will always turn up out of nowhere to make trouble, try to shake the collective mind out of its everyday coma… »9
Alan Lord au lancement de MTL punk en 2011. À gauche, Charles Foucrault et à l’arrière, Marc de Mouy.

Alan nous raconte aussi ses amitiés avec toutes sortes de « perdants », comme les poètes Mario Campo, Denis Vanier et Josée Yvon. Son amitié avec Campo est particulièrement touchante : « Mario was one of those few select individuals who must fall and crash to reveal to us life’s essence.»10 Tout au long du livre, Alan nous titille avec de nombreuses personnalités de la contre-culture qu’il a eu le privilège de côtoyer et plusieurs passages nous font découvrir la scène new yorkaise : Chelsea Hotel, CBGB, etc.

Plusieurs notes de bas de pages décrivent comment les mots et noms francophones doivent être prononcés, ce qui est pour le moins inusité. On ne peux blâmer Alan d’avoir choisi l’anglais pour son livre — j’en aurais fait autant si j’en avais eu la capacité. Par contre, c’est un peu dommage car ce genre de bouquin sur la scène underground des années 1980 est quasi inexistant au Québec, mis à part les livres que j’ai publiés. Bref, si vous voulez vous replonger dans la contre-culture montréalaise des années 1980, ce livre est pour vous. Et comme on dit : Attachez vot’ tuque !

Sur la couverture : les Foufounes électriques où j’ai été dj comme je le raconte entre les pages 171 et 217 de ce livre.

© Alain Cliche, 2023.

traductions libres :

1) « Ce livre prouve hors de tout doute qu’on avait ici dans les années 80 une scène artistique underground de classe mondiale rivalisant avec n’importe quelle autre dans l’Histoire. » [p. 295]

2) « … Je dois tout à Francoeur. Et je ne lui dois rien […] je lui dois tout dans le sens où grâce à lui j’ai pu faire la première partie des Ramones et les rencontrer, j’ai pu enregistrer un véritable album, en plus il m’a fait découvrir Rimbaud, la poésie, et les grands noms du monde littéraire québécois — puis aussi Burroughs — la future pierre angulaire de ma vie intellectuelle. » [p. 46]

3) « Je sentais que ma mission était de le mettre à jour en musique. Je lui ai fait des compiles avec les nouveaux sons du jour : Public Image, Siouxsie, Joy Division, Cramps. » [p. 35]

4) « Les Néoistes étaient un collectif de musiciens, écrivains, artistes, cinéastes, vidéastes, de provocateurs et d’innovateurs en art, un groupe d’individus incroyablement créatifs regroupés autour du performeur et vidéaste Monty Cantsin. » [p. 68]

5) « J’étais comblé d’être avec ces gens remarquables, des gens qui partageaient mon dégoût et mon mépris sans limite pour les conventions et les gens conventionnels. Ils possédaient cette qualité indéfinissable que j’appelle la surrintelligence — une sorte d’intelligence supérieure, non quantifiable, au-delà du banal des tests de QI et qui dépasse tous les critères conventionnels visant à la quantifier. » [p. 76]

6) « On était accros à ces cassettes, c’est tout ce qu’on voulait entendre. À ce jour, ces deux cassettes sont la meilleure chose jamais faite au Québec. Ça nous a aussi poussé à faire des chansons en français» [p. 125]

7) « Subir un échec retentissant est à la fois déprimant et libérateur. Les lèche-culs m’ont enfin foutu la paix. » [p. 196]

8) « Ça nous a tout de suite valu un tollé de protestations et un boycott féministe à l’Université Concordia, accompagné de chants stridents au mégaphone et de pancartes agitées devant le campus. » [p. 156]

9) « … Chaque génération a un mot différent pour la même chose : de jeunes anges intrépides issus du chaos de l’apocalypse tourbillonnante, qui sortiront toujours de nulle part pour semer le trouble, essayer de secouer l’esprit collectif du coma quotidien… » [p. 5]

10) « Mario était l’un de ces rares individus qui doivent tomber et s’écraser pour nous révéler l’essence de la vie. » [p. 52]

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