Quand Dieu ricane – Jack London [1911]

quand dieu ricaneLa première bonne nouvelle de ce recueil s’intitule Le renégat. Ça raconte l’histoire d’un gamin qui, tous les jours depuis qu’il a l’âge de sept ans, doit se rendre à l’usine pour faire vivre sa famille alors que son frère et sa sœur vont à l’école. London a lui-même passé une partie de sa jeunesse à travailler dans une usine et cette nouvelle résonne d’une façon très particulière, propre à l’autofiction.

Dans Le Chinetoque, cinq Chinois qui travaillent dans une plantation de coton de Tahiti sont accusés de meurtre. La façon infâme d’expédier l’affaire fait ressortir le racisme et la stupidité des Français qui colonisent l’île. Si Bukowski a lu cette nouvelle, nul doute qu’il a dû être séduit par son cynisme. Il aurait certainement aussi apprécié Rien que de la viande, une nouvelle racontant avec un humour acéré l’histoire de deux cambrioleurs de bijoux qui, victimes de leur avarice, finissent par s’entretuer. L’esprit de cette nouvelle rappelle nettement l’univers de Bukowski.

Dans Semper idem, un maître chirurgien sauve la vie d’un suicidé qui s’est tranché la gorge. Le récit est plein de subtilités et d’humour et la fin est pour le moins loufoque. Un nez pour le roi se passe en Corée et raconte l’histoire d’un politicien véreux condamné à mort qui réussit à s’en sortir grâce à un ingénieux stratagème. Un bon bifteck raconte un combat de boxe entre un vétéran mal nourri et un adversaire beaucoup plus jeune. Ce récit cruel est en fait une extraordinaire réflexion sur le passage du temps et le vieillissement. Le phrasé de London va et vient comme les coups que s’échangent les boxeurs ; un pur chef-d’œuvre.

London est un formidable narrateur mais il s’avère parfois faible lorsqu’il a recours à la scène, un mode narratif consistant à intercaler des dialogues entre des paragraphes descriptifs. Il s’y essaie sans grand succès dans Tels il les créa, une nouvelle où l’on sent un peu trop son parti pris contre l’alcool. London reprendra ce thème dans Le Cabaret de la dernière chance [1913], un récit lui aussi gâché par ses convictions dignes de la prohibition.

Quand Dieu ricane est un recueil de nouvelles qui a certainement influencé nombre d’auteurs américains, à commencer par Bukowski. Il mérite d’être lu, ne serait-ce que pour les six bonnes nouvelles énumérées ci-haut.

© Alain Cliche, 2013.

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